RIEN ne justifiera JAMAIS une guerre

Les terres d’Arménie sont à nouveau meurtries.
Vos dons sont plus que précieux pour permettre à Santé Arménie d’intervenir le plus efficacement et le plus vite possible sur le terrain

Le Colloque

Texte introductif du Dr. Patrick Alecian

Quoi de plus banal qu’un enfant ? Terrible question tant elle vient heurter la subjectivité de chacun.

Quoi de moins banal qu’une guerre ? Horrible question tant elle heurte les représentations des violences les plus refoulées.

Et… l’enfance ? pendant la guerre ? après la guerre ? avant la guerre ?

Une guerre plus longue que les autres ? Des destructions plus spectaculaires ? Des technologies de destructions plus performantes : bombes nucléaires ? Drones aériens ? drones sous-marins ? bombes au phosphore ? bombes à fragmentations ?

Une guerre qui ne tuerait ni femme ni enfant ? Une guerre où les enfants fétichisent ensuite de nouvelles armes comme les drones en 2020 à Bakou ? En 1918 c’était les avions en France et en Allemagne !

Les trois points à suivre de mon propos tenteront de situer temporellement l’enfance dans le chaos : guerre avec début et fin, ou extermination intemporelle ? Banalité de la guerre ou banalité du déni ? Au regard de quelle culture l’enfance s’épanouira ?

Dans cette table ronde nous parlerons des Arméniens de la République d’Arménie et de ceux des Diaspora.

Ce que je veux introduire c’est la nécessité de comprendre la persécution des Arméniens de 1894 en Anatolie à aujourd’hui dans le Caucase comme un continuum, cherchant un effacement de toutes leurs empreintes. De cette réalité il faut comprendre l’enfance des Arméniens au regard d’un miroir brisé en 8 millions d’éclats. Chacun de ces éclats porte une capacité de reviviscence mais à ce jour le miroir reste brisé.

Cependant c’est chez des guerriers français que je vais chercher des sources de réflexions sur la Guerre : Claude Barrois, René Char, Georges Clémenceau.

Le médecin général Claude Barrois dans son bel ouvrage « Psychanalyse du guerrier »[i], grandement documenté sur les armées et les guerres, écrivait, alors qu’il rentrait en 2000 de la scène de grande désolation de Beyrouth, qu’il faut distinguer chez les guerriers ceux qui sont des guerriers de paix de ceux qui sont des guerriers de guerres, à savoir prédateurs et destructeurs.

Les premiers veulent aboutir à la Paix. Lisons René Char, le poète, résistant en 1943 :

Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre.

Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant ? »

René Char, Feuillets d’Hypnos, Fureur et Mystère, 138, p. 208, La Pléiade, Éd. Gallimard, 1983

Les deuxièmes commettent les crimes de masse qui emportent bien enfants et vieux, hommes et femmes. Plus que des cadavres ils veulent la poussière des corps dissipée dans la tourmente et la foudre qui brise les poèmes écrits par les mères sur les stèles surplombant les corps de leurs enfants. Le crime de masse a été annoncé à chaque fois :

Les concernant, qu’est-ce qui marque les esprits ? l’Histoire ? Le nombre de morts ? civils ? militaires ? Le récit ? celui qui dit la vérité ? Celui qui tue la vérité ? Ne vous y trompez pas : je parle du récit qui va pénétrer, imprimer le cerveau à la naissance et l’esprit pendant l’enfance des leurs.

Définir ce qu’il en est pour les Arméniens reste donc un exercice atypique : depuis 1894 les témoignages qui ont été transmis disent d’abord de quelle horreur indescriptible et insoutenable il s’agissait. Georges Clemenceau a été confronté à cet indicible, en 1894, après les massacres hamidiens. Alors qu’il avait eu à observer aux Etats-Unis dans le cadre des lois constitutionnelles les effets des violences contre la minorité noire, puis à Paris aux tueries pendant la Commune, il est informé en 1894, précisément, des massacres ordonnés par le sultan Abdül Hamid. Il sera alors le premier à théoriser la violence contre un groupe défini et ciblé[ii] et la responsabilité de l’Institution dirigeante. Et il abordera un peu plus tard avec ces étayages la défense du Capitaine Dreyfus.

Confronté par ses émotions à son impossibilité d’écrire l’horreur il en fera une mutation dans les discours politiques désignant les responsables des massacres. Avec ses amis il sera à l’origine de la création de la Société des Droits de l’Homme, future Ligue des Droits de l’Homme. En 1900, il fait partie du comité de rédaction de la revue Pro Armenia fondée par Pierre Quillard. À ses côtés siègent Jean Jaurès, Anatole France, Francis de Pressensé et Eugène de Roberty.

Mais l’extermination s’est répétée, en évoluant vers pire dans les faits et dans la désignation banale de ces évènements : guerre, guerre civile, combats, générant des démentis et des dénis. Banaliser !

La banalité du mal est une locution philosophique issue des réflexions concernant la Shoah (Hannah Harendt philosophe et journaliste) au décours du procès d’Adolph Eichmann.

La banalité du déni est une locution issue des études scientifiques historiques et sociologiques concernant les génocides (Yaïr Auron[iii]– Université de Tel Aviv- Laboratoire d’études des génocides). Ce travail incommensurable de Yaîr Auron[iv] explore tous les génocides avec une précision d’investigateur et un courage incroyable.

Une des différences importantes dans ces évènements que sont les crimes de masse et qui les différencie des guerres, plus encore que ce qui frappe l’esprit, c’est ce qui efface de la subjectivité et de la collectivité le crime commis.

Pourquoi évoquer cela en introduction d’une table ronde, un gala, une levée de fonds en faveur des enfants d’Arménie et d’un enseignement universitaire à leur sujet ?

Nous allons parler de l’enfance, son développement, les interférences avec les cultures et les violences (quelles qu’elles soient), grâce à des confrères pédopsychiatres qui m’accompagnent depuis longtemps dans les travaux menés en France puis en Arménie. Ces confrères suivent avec beaucoup d’attention le projet de l’Université d’Etat de Médecine à Yerevan (YMSU[v]) de créer une chaire de pédopsychiatrie. Si la notion de traumatisme est bien sûre centrale, nous pensons qu’il faudra considérer que ce ne seront pas uniquement les enfants malades qui seront concernés par ce futur enseignement mais tous les enfants de la République d’Arménie, voire de la diaspora, grâce à ses futures recherches sur les traumatismes et la Mémoire. Nous penserons aux survivants de tous les crimes de masses.

Le 23 Juillet 2023,

Dr. Patrick Alecian, Psychiatre, pédopsychiatre, psychanalyste (SPP)

Notes de renvoi


[i]  Claude Barrois, Psychanalyse du Guerrier, Hachette Pluriel, Intervention

[ii] Sylvie Brodziak, « De la Commune aux massacres d’Arménie », Études arméniennes contemporaines [En ligne], 8 | 2016, mis en ligne le 30 mai 2017, consulté le 08 mai 2023.  URL : http://journals.openedition.org/eac/1139 ; DOI : https://doi.org/10.4000/eac.1139 Université de Cergy-Pontoise

[iii] Yaïr Auron, Israël et le Génocide des Arméniens, SIGEST, 2017, 2ème édition

[iv] « La mémoire est sanctifiée dans la tradition juive […]. Ce livre est très important pour les Juifs et pour l’humanité. Le travail d’Auron est un travail saint (avodat kodesh) dans le vrai sens du terme ». Le Rabbin Matthew Berkowitz, séminaire théologique juif d’Amérique.

[v] YMSU : Yerevan Medical State University

Les détails du colloque sur le thème :

Au Cabaret Carpeaux, plus de 2 heures d’échanges autour de l’avenir et de la santé des enfants et adolescents arméniens traumatisés ou post-traumatisés d’un génocide passé et actuel avec 7 intervenants de diverses disciplines.

⚠️ Le Colloque sera filmé pour être par la suite posté sur nos réseaux sociaux !!

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